Qu’est-ce que je veux ? Quelle est ma position ? (Conférence) – (2010)

J’ai choisi de faire une conférence pour vous parler de deux questions essentielles qui se posent à moi, artiste: Qu’est-ce que je veux ? Quelle est ma position ? J’ai fait un plan qui reprend ces questions. Je l’avais fait afin de m’y retrouver et je vais essayer de vous y guider. Comme tout plan il pourrait être plus détaillé, élargi – mais tout ce qui figure sur ce plan compte pour moi, tout y est important. Je vais vous montrer – en faisant le lien avec mon plan – des images d’un de mes travaux récents: Stand Alone présenté en 2007, d’abord à la galerie Arndt & Partner à Berlin puis la même année au musée Tamayo Arte Contemporaneo de Mexico. Je vais illustrer mes propos par des images de ce travail et extraire certains points de mon plan pour vous expliquer pourquoi ils sont importants pour moi.

Mon travail/Ma position/Moi

Ce plan, qui a été utilisé pour faire l’affiche de ce colloque, je m’en suis concrètement servi dans mon exposition Stand Alone. Il était disposé en pile à l’entrée de l’exposition et les gens pouvaient le prendre. A Berlin le plan était en allemand et à Mexico, traduit en espagnol. Au centre du plan, j’ai inscrit “Mon travail, Ma position, Moi”. C’est au milieu, non pas parce que je suis égocentrique mais parce que je pense qu’en tant qu’artiste je dois être concentré et centré sur moi-même. Ainsi «Mon travail/Ma position/Moi» figure au centre. Comme artiste, on doit être engagé pour et avec son travail. Il n’y aucune autre possibilité que celle d’un engagement total si l’on veut atteindre quelque chose avec son art. Ceci vaut pour tout art. Tout art est engagé. Il existe aujourd’hui une grande confusion concernant la question de ce qui serait «Politique». Je ne suis qu’intéressé par le véritable «Politique», le politique qui implique et pose la question: Quelle est ma position ? Où est celle de l’autre ? Qu’est-ce que je veux ? Que veut l’autre ? La politique des opinions, des commentaires et des avis généraux ne m’a jamais intéressée. Par contre, je pense qu’il est important comme artiste, de partir de ma position, de ce qui m’est propre, de ce que je vois – moi, et de ce que je sais – moi, de ce que je crois devoir faire. Je dois être centré. Je veux et je dois – en faisant de l’art – reinventer le monde et me reinventer avec.

(insert: image 1)

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Légende:

Thomas Hirschhorn

“Where do I stand ? What do I want ?”, 2007

Version française

Images “p”olitiques et “P”olitiques

Je veux vous montrer des images prises il y a deux ans en 2006, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris (HESS) après son occupation par des anarchistes pendant une dizaine de jours et avant que la police les déloge. Ce sont des images “après occupation”. Pour moi, ce qui est intéressant, et dont les images témoignent, c’est la confrontation du politique avec un petit “p” (les manifestations contre le CPE – Contrat Première Embauche) et du Politique avec grand «P» (qui est l’Ecole des Hautes Etudes en Scienses Sociales). Ces jeunes anarchistes ont mis en évidence cette confrontation avec un vocabulaire visuel inventif. Ils sont intervenus en écrivant sur les murs, en accrochant au mur des sacs, des téléphones avec du scotch. La façon dont ces objets ont été “scotchés” au mur est preuve d’une créativité débordante d’une réduction efficace. Les pendules de salle de classe barrées par des croix avec du spray – comme pour arrêter le temps ou le “progrès” – sont des formes chargées et denses esthétiquement et politiquement. Ces formes sont belles.

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02

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Légendes :

Photos prise lors des manifestations anti-CPE à l’EHESS, Paris, 2006 (photos : André Gunthert)

Amour, Esthétique, Politique, Philosophie

J’ai décidé de situer mon travail dans les champs de forme et de force que sont «Amour», «Philosophie», «Esthétique» et «Politique». Je veux que mon travail touche toujours (tous) ces quatre champs. Ces quatre champs de forme et de force sont tous aussi importants pour moi. Mon travail ne doit pas remplir ces champs de manière égale, mais je veux toujours que chacun de ces quatre champs soit occupé. Un seul – mais uniquement un seul – de ces quatre champs de forme et de force est celui du «Politique». Choisir le Politique comme champ de forme et de force veut dire que, dans mon travail, je veux toujours me poser la question: Qu’est-ce que je veux ? Quelle est ma position ? Le champ de forme et de force du «Politique» – comme le champ «Esthétique» – peuvent aussi être interprétés de façon négative, j’en suis conscient. Mais pour moi il n’est jamais question d’exclure ou de rejeter ce négatif, il s’agit de le confronter aussi, de travailler aussi avec, de m’y impliquer sans moi-même être négatif. Je veux – par mon travail – créer une vérité nouvelle au delà de la négativité, au delà de l’actualité, au delà du commentaire et au delà des opinions. Pour expliquer ma logique, je veux revenir à Stand Alone. J’avais décidé, par le plan du sol, de donner un espace à chacun des quatre champs de force ou de forme. Je voulais que chacune des quatre salles soit consacrée à l’un de ces quatre champs. Dans chaque salle, j’ai réalisé une cheminée agrandie en carton qui en marquait le centre, la dynamique, et représentait la possibilité d’un feu, un feu éternel pour les quatre champs: «Amour», «Philosophie», «Esthétique» et «Politique». A coté des cheminées il y avait, comme combustible, du bois de différentes provenances et textures : du bois imité, du bois usé, du bois démonté d’armoires et du “vrai” bois. J’ai rempli les cheminées avec ces bois pour qu’un feu puisse y être allumé. J’avais posé sur les quatre cheminées des livres au sujet des quatre différents champs de force et de forme. Ces livres étaient la seule forme qui distinguait un espace d’un autre.

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Légende :

Thomas Hirschhorn

«Stand-alone», 2007

Museo Tamayo Arte Contemporaneo, Mexico City, 2008

Courtesy Augustin Coppel, Collección IAC, Mexico

Art et Philosophie

Les deux mains jointes que vous voyez sur le plan “Map of Friendship between Art and Philosophy” forment un logo que j’ai créé avec mon ami, le philosophe Marcus Steinweg. Nous nous sommes dits que le geste de se serrer la main serait le signe de cette amitié. Parce que l’on ne peut pas se serrer la main soi-même, on a besoin de quelqu’un d’autre et à deux on fait quelque chose d’unique et de nouveau. Il faut que l’on comprenne que ce n’est pas la philosophie qui est le sujet de l’art, ni l’art qui est illustration de la philosophie. Ce sont deux mouvements parallèles qui avancent en amitié. Parce que ce sont 10 doigts qui se serrent la main ensemble, nous avons pris 10 termes témoignant de cette amitié. Il ne s’agit pas de cinq termes pour l’art et cinq autres pour la philosophie. Ils sont réversibles et interchangeables, ce sont des notions qui valent autant pour l’art que pour la philosophie: “Universalité”, “Affirmation”, “Agir sans tête”, “Résistance”, “Autonomie”, “Espoir”, “Guerre”, “Forme”, “Courage” et “Amour”. Ces 10 termes comptent autant pour Marcus que pour moi. Ils comptent autant pour l’art que pour la philosophie. Je n’utilise pas – comme artiste – la philosophie dans mon travail, ni ai-je besoin de philosophie pour faire mon travail. J’ai besoin moi-même de la philosophie comme être humain, comme homme – comme tout les hommes – pour me confronter aux grandes questions que je me pose.

(insert: photo 5)

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Légende :

Thomas Hirschhorn avec Marcus Steinweg

«The Map of friendship between art and philosophie» («Le Plan d’amitié entre art et philosophie»), 2007

(photo: Marc Domage)

Forme

Il s’agit de donner forme, non pas de faire une forme – mais de donner forme. Je veux donner une forme qui vient de moi, donner une forme qui ne peut venir que de moi, donner une forme que seulement – moi – peux donner, donner une forme que seulement – moi – connais, donner une forme que seulement – moi – sais donner et donner une forme que seulement – moi – voit comme cela. C’est ainsi que s’établit la différence entre faire une forme et donner une forme. Donner forme veut dire – contrairement à faire une forme – être un avec cette forme. Je dois être cette forme, je suis cette forme. Cela veut dire porter haut cette forme, cela veut dire affirmer et défendre cette forme, contre tout chose et contre tout le monde. Il s’agit de se poser la question de la forme et de vouloir répondre en donnant forme, par la forme. Je veux me confronter au grand défi artistique: Comment créer une forme qui prenne position ? Comment créer une forme qui résiste aux faits ? Je considère la question de la forme comme la question essentielle, la question la plus importante pour un artiste. Dans le travail Stand Alone, il y a les miroirs au-dessus des cheminées qui sont là, non pas pour se regarder car ils sont trop hauts, mais pour refléter la salle et les objets, pour leur donner forme. Le grand “tronc d’arbre” est ainsi une forme. Il s’agit d’une méga-forme. Le “tronc d’arbre” a plusieurs fonctions: de ‘casser’ l’échelle de l’espace, d’obliger le spectateur à tourner autour, de l’astreindre à la frontalité. Le spectateur doit tourner autour de cette méga-forme qui est là pour que le point de vue soit un geste imposé et non “un choix”. En tant qu’artiste je me trouve souvent ridicule face à mon travail. Mais je dois justement soutenir et supporter ce sentiment de stupidité car il vient de la forme que j’ai donnée. Je ne peux pas faire mon travail si je l’analyse en même temps. Si j’étais dans l’analyse de mon propre travail, je ne pourrais pas puiser la forme en moi et la donner. Par exemple, lorsque j’utilise des médicaments agrandis, des «You»-pilules disposées dans les quatre coins d’une salle de Stand Alone, je veux créer un nouveau sens. Les formes – “You”-pilules – sont fabriquées en carton et en plastique avec le mot «You» “gravé” dessus. Le sens est: si j’agrandis quelque chose, je m’engage en le faisant, je prends du temps et je m’organise pour le faire, et en même temps j’en ôte le sens et je le vide de son sens. Ce que je veux, c’est que ces deux dynamiques, l’engagement d’une part – d’agrandir les pilules – et le vide d’autre part – on ne peut les avaler – donnent un nouveau sens.

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06

Légende :

Thomas Hirschhorn

«Stand-alone», 2007

Arndt & Partner Gallery, Berlin, 2007

(photo: Bernd Borchardt)

Courtesy Augustin Coppel, Collección IAC, Mexico

07

Légende:

Image tirée du film “Stalker”, d’Andreï Tarkovski, 1979

Outil

L’image qui me vient à l’esprit lorsque je réfléchis à ce qu’est un artiste, est celle de l’acteur qui joue le guide dans le film Stalker d’Andreï Tarkovski. Dans ce film, il y a la scène dans laquelle ce “stalker” – qui guide un groupe de gens dans une zone interdite alors que lui-même ne connaît pas le chemin – lance une pierre devant lui et la suit. Il trouve ainsi son chemin, suivant la pierre tombée. Il est – en étant le guide – suivi par les gens qu’il doit guider.

L’art est pour moi un outil – ou une arme. Un outil pour comprendre et pour connaître le monde, ce monde dans lequel je suis, mon monde, notre monde, notre seul et notre unique monde. L’art est un outil pour me confronter à la réalité. Et l’art est un outil pour vivre dans le temps dans lequel je suis. Je veux toujours me poser la question: Est-ce que mon travail est capable de créer un évènement? Est-ce que je peux rencontrer l’autre à travers mon travail? Est-ce que – par mon travail – je suis en train de changer quelque chose? Est-ce que mon travail permet que quelqu’un soit impliqué? Est-ce que mon travail crée une percée? Je veux penser le travail que je fais aujourd’hui – dans mon environnement, dans mon histoire – comme étant un travail qui veut dépasser mon environnement et aller au delà de mon histoire. Je veux m’efforcer – dans et au travers de mon travail – de me poser des questions universelles. C’est pourquoi je dois travailler avec ce qui m’entoure, avec ce que je connais et avec ce qui me touche, moi. Je ne dois jamais céder à la tentation du particulier, du particularisme – mais au contraire – je dois essayer de toucher l’universel, je veux résister au particularime – qui exclut et rétrécit. Cela veut dire pour moi – que mon travail que je fais ici et maintenant – doit être un travail d’une portée universelle.

Aide

Pour faire mon travail, j’ai besoin d’aide. Il faut que je m’aide moi-même et il faut que je me fasse aider. Ce qui m’aide c’est de penser au quatre conditions d’artiste que Toni Negri a établies: 1. Avoir de réelles capacités physiques et intellectuelles. 2. Etre passionné. 3. Etre tenace. 4. Chercher la confrontation avec la réalité. Et Marcus Steinweg en ajoute une cinqième: Etre prêt à payer le prix – le premier – pour son travail! Je m’aide moi-même en m’inventant des lignes de conduite. Avoir une ligne de conduite veut dire: Se donner ses propres moyens, se créer ses propres notions ou se les approprier pour travailler. Mes lignes de conduite sont: «Agir sans-tête»; «Energie = Oui! Qualité = Non!»; S’affaiblir – mais faire un travail puissant; Rester vulnérable et en même temps être souverain: Ne pas s’économiser – se dépenser; «Panic is the solution!»; Etre précis et exagérer; S’auto-ériger; S’autoriser soi-même ; Etre cruel vis-à-vis de mon propre travail; Etre déterminé; «Less is less! More is more!»; Savoir que dans l’art il n’y a jamais un succès total, mais il n’y a jamais un total échec non plus; Me demander : est ce que je peux – avec mon travail – forger un nouveau concept dans l’art? Assumer la responsabilité de tout ce qui concerne mon travail; «Mieux c’est toujours moins bien»; Refuser toutes les hiérarchies; Penser à Joseph Beuys et sa phrase: «Chaque être humain est un artiste» ou encore à la phrase d’Andy Warhol: «Don’t cry – Work!».

(insert: image 8)

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Légende:

Thomas Hirschhorn

«Stand-alone», 2007

Arndt & Partner Gallery, Berlin, 2007

(photo: Bernd Borchardt)

Courtesy Augustin Coppel, Collección IAC, Mexico

Chaos

Je ne vois pas seulement dans les images de l’occupation de l’HESS de la violence gratuite, j’y vois les images d’une de-construction. L’image de l’armoire avec les papier eparpillés montre que cette armoire est redevenue materiau “bois” comme ces armoires démontées que l’on trouve souvent dans les rues à Paris. L’armoire est même démontée avec ses papiers à l’intérieur, ces papiers qui ne font plus sens et qui deviennent des allume-feu. Dans mon travail Stand Alone j’ai voulu que ces armoires fassent partie du bois pour entretenir les quatre flammes éternelles. Ces images de la manifestation m’ont marqué pour plusieurs raisons. Quand je les ai vues, je me suis dit: elles m’appartiennentt! Il faut que je les récupère, il faut que je me réapproprie ce qui est à moi! C’est pour cela que ces images m’ont inspiré fortement pour faire Stand Alone. Je ne veux pas travailler pour apporter de la paix, de la clarté ou une sorte de “vue globale”. Je veux travailler dans le monde absolu, dans son chaos, dans sa complexité, dans son incommensurabilité et dans la non-clarté du monde. Je veux toucher le noyau dur, le chaos. Je veux être dans l’infight. Je peux donner forme à quelque chose seulement si je fais face de manière positive à la réalité, positif en face du noyau dur de la réalité. Il s’agit de ne jamais laisser l’envie, la joie, le plaisir du travail, le positif du faire, la beauté de travailler, la passion de faire de l’art, être asphyxiés par la critique. Je ne veux pas réagir – je veux être toujours actif. L’art est toujours une action, l’art n’est jamais une réaction. L’art ne peut jamais être une réaction ou une simple critique. La question n’est pas d’être non-critique ou d’être sans critique ou de ne pas faire de critique. La question est : Comment je peux être positif tout en ayant une critique des plus pointues, un refus sans compromis et une résistance inconditionnelle? Il s’agit de ne pas se laisser dénier la passion, l’espoir et le rêve. Créer quelque chose veut dire se risquer, et je ne peux le faire que si je travaille sans – en même temps – analyser ce que je suis en train de faire. Prendre des risques, avoir du plaisir au travail, être positif sont les conditions pour faire un travail artistique, car c’est seulement en étant positif que je peux créer quelque chose qui vient de moi. Je veux être positif – tout en touchant aussi le négatif. Et parce que je veux être positif je dois rassembler mon courage pour confronter ce négatif. Il s’agit d’agir, d’oser une affirmation, de prendre position, prendre une position qui va au delà d’une simple critique. Je veux être critique mais je ne veux jamais me laisser neutraliser par la critique. Je veux essayer de dépasser la critique que je formule moi-même. Et aussi je ne veux pas me simplifier la tâche par une autocritique trop facile et finalement narcissique. Je ne veux jamais me plaindre en tant qu’artiste – car il n’y a aucune raison: je peux créer quelque chose.

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09

Légende :

Photo prise lors des manifestations anti-CPE à l’EHESS, Paris, 2006 (photo : André Gunthert)

Influences

Mes influences sont les travaux d’artistes; Schwitters, Malévitch, Duchamp, Beuys, Warhol mais aussi les écrits de Bataille, Deleuze, Spinoza, Foucault, Gramsci. Et je suis influencé par ce qui est à voir dans le monde, dans notre monde. Parmi mes influences il y a ces deux photos – que je porte toujours avec moi – la photo de la “1ère foire internationale Dada” de Berlin en 1920 avec – entre autres – John Heartfield qui a dit : «Utilise la photographie comme une arme!» et la photo du travail de Johannes Baader, le Grand Plastodiodadadrama. Ce qui m’influence c’est aussi les collages, tous les collages. J’aime faire des collages et je veux continuer d’en faire. Faire des collages est simple et “facile” – “trop facile” j’entends parfois – et c’est pour cela que le collage n’est pas pris au sérieux. Or tout le monde – au monde – à fait une fois au moins une fois dans sa vie un collage. Le collage – est le procédé le plus immédiat et le plus économique de créer, à partir du monde existant, un nouveau monde. C’est la grâce et la beauté de faire un collage. Faire un collage c’est coller des éléments qui n’ont rien à voir entre eux, ensemble, c’est recoller des morceaux. Faire un collage ce ne pas interprêter le monde, mais re-créer le monde. Le collage est un moyen efficace de résistance aux habitudes, à la culture, à la tradition, à toutes les normes, à toutes les tentatives de neutralisation et d’aliénation. Faire un collage n’est pas une technique – c’est une manière de comprendre ou de saisir le monde. Je dirais même: une manière de vivre dans le monde. Moi-même, j’appréhende le monde comme un immense collage, un collage dans la deuxième dimension. Avec mon travail et à travers mes expositions – comme avec Stand Alone – je veux donner forme à ce collage du monde dans l’espace, dans la troisième dimension. Je transpose un collage de la deuxième dimension dans la troisième dimension.

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Légende :

Vue de l’exposition «La Grande Foire Internationale Dada», Berlin, 1920

Matériaux

Les matériaux sont des éléments importants dans mon travail. J’aime les matériaux avec lesquels je travaille. Mais aimer ne veut pas dire être amoureux de son matériau ou s’y perdre. Et aimer son matériau veut dire le placer au-dessus de toute autre chose, cela veut dire travailler sciemment avec lui et insister avec lui. J’aime ce matériau-là car je me suis décidé pour lui – alors je ne veux et je ne peux le remplacer. Parce que je me suis décidé pour lui – ça veut dire que je l’aime – je ne peux ni ne veux en changer. La décision pour un matériau est une décision extrêmement importante, elle est capitale. Et parce que j’ai pris cette décision je ne peux céder au souhaits, aux injonctions ou imaginer moi-même «quelque chose d’autre», «quelque chose de nouveau» ou «quelque chose de différent». Pour le scotch par exemple, je l’ai choisi car c’est un matériau universel qui n’a pas de plus-value et que d’autres gens utilisent pour faire autre chose que de l’art. Je l’utilise car c’est un matériau qui ne veut pas intimider. C’est un matériau d’urgence et de nécessité. Si je veux faire quelque chose de plus grand alors je dois en faire plus “à la main” – je ne peux pas passer par un procédé technique industriel pour faire “plus grand”, c’est cela travailler politiquement. Pour Stand Alone, j’ai écrit dans l’espace des phrases et des mots, ces écrits sont ce que j’appelle des “news poésie”. Ce sont des mots ou des phrases que je n’ai pas inventés mais que j’ai découpés dans des journaux comme le Newsweek, le TIME Magazine ou le Business Week. Je coupe et enlève les références géographiques, les noms propres, les dates ou les actions précises pour ne laisser que le squelette de la phrase. J’utilise la cruauté poétique de ces écrits. C’est pour cela “news poésie” – ainsi les mots et les phrases redeviennent des materiaux et je peux de nouveau les aimer.

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Légende :

Thomas Hirschhorn

«Stand-alone», 2007

Museo Tamayo Arte Contemporaneo, Mexico City, 2008

Courtesy Augustin Coppel, Collección IAC, Mexico

Display

Je n’emploie pas le mot “installation” par rapport à mon travail. Ce terme est rattaché au “monde de l’art” et seulement peut de gens savent ce que cela veut dire. Je préfère le terme de display, qui est plus près de la manière de présenter les choses. J’aime comment les gens présentent toutes sorte de choses en dehors de l’art – cela m’inspire. J’aime les sculptures que font des manifestants et qu’ils amènent lors de manifestations pour exprimer un désaccord ou pour visualiser une revendication. Dans la réduction et dans la crudité de ces gestes beaucoup de choses m’intéressent. Ces sculptures sont belles car ce sont des inventions faites avec engagement et amour, sans prétentions. Ces sculptures possèdent la force d’impliquer l’autre. Travailler pour l’autre veut dire d’abord travailler pour l’autre qui est en moi, et cela veut dire aussi travailler pour un public non-exclusif. L’autre peut être mon voisin ou un inconnu, l’étranger ou quelqu’un qui me fait peur, que je ne connais pas et que je ne comprends pas. L’autre est celui auquel je n’ai pas pensé et que je n’ai pas attendu. Un public non-exclusif n’est pas simplement «tous», «la masse» ou «la plupart», un public non-exclusif est constitué des autres, des autres parfois plus ou parfois moins nombreux. Je veux au travers et dans mon travail toujours travailler pour un public non-exclusif. Je veux tout mettre en oeuvre pour que l’autre ne soit jamais exclu de mon travail, je veux l’inclure, je veux essayer de l’impliquer par mon travail, sans conditions et sans le neutraliser. Je veux l’inclure par la forme-même de mon travail. Cet autre est la raison pour la quelle je ne fais aucune différence entre exposer mon travail dans l’espace public, dans une galerie commerciale, dans une foire d’art, dans un musée, dans un centre d’art ou dans un lieu d’exposition alternatif. Travailler pour l’autre et vouloir toucher un public non-exclusif exige que je me place résolument en dehors du «Spectre de l’évaluation». Je veux rester toujours ouvert à une audience impossible – je veux lutter contre une audience “triée sur le volet”, une audience exclusive, une audience de luxe, une audience “des informés”, une audience finalement seulement du “possible”, une audience asseptisé et – déjà – neutralisée. Dès mes débuts, je m’étais fixé comme programme – de confronter mon travail dans l’espace public, le centre d’art, le musée ou à la galerie commerciale. Car le public non-exclusif se trouve partout, il est est le même dans la rue ou dans le musée.

Voici en quelques points, un essai d’élucidation de mon plan Qu’est-ce que je veux ? Quelle est ma position ? Merci.

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Légende :

Thomas Hirschhorn

«Spectre d’évaluation», 2008