A propos du “Spinoza Théâtre” (2009)

Je comprends maintenant pourquoi les actrices et les acteurs avant de jouer se disent pour s’encourager en France « merde ». J’estime que le Spinoza Théâtre que j’ai fait intégré dans le Bijlmer Spinoza Festival est un désastre. C’est un désastre sur ce qu’on peut appeler la mise en scène, c’est un désastre sur le plan humain, c’est un désastre sur le plan technique et matériel et enfin c’est un désastre sur le plan du jeu. Ce n’est pas un désastre artistique car je l’ai fait, car nous le jouons tous les jours et car j’apprends et j’en tire énormément d’enseignement. C’est un challenge incroyable que je me suis mis, dont je n’ai vraiment pas mesuré la difficulté à tenir, pour lequel, pendant les trois mois à Amsterdam j’ai pu développer et préciser des possibilités pour un travail futur. Et donc, même si je suis stupéfait par ce désastre et mon incapacité à l’avoir évité, le Spinoza Théâtre me rend heureux. Que ce soit clair et sans autosuffisance, je suis vraiment mauvais, mais face à ce constat inéluctable, ce qui s’est imposé chez moi, c’est que même en étant complètement dans l’insuffisance, la mission que je me suis fixée, de faire du théâtre tous les jours dans ces conditions extrêmement difficiles, ce fait de devoir tenir la mission coûte que coûte et même d’arriver à tenir engagement me rend heureux

Ce qui me rend heureux aussi c’est de tenir mon engagement vis-à-vis du texte de Marcus qui est beau, qui est nouveau, et qui – je le sais – par mot, par phrases, par sentences, rentre malgré tout dans la tête des gens.

Ce qui me rend heureux aussi c’est d’avoir tenu tête à mes acteurs et actrices du quartier qui ont résisté avec beaucoup de caractère à tous mes débordements, qui m’ont fait payer très cher mon impréparation, et mon manque de savoir faire avec les gens. Mais, et c’est cela qui a permis d’instaurer un rapport de conflit avec mes acteurs qui me semble sain, car ce conflit est basé sur a permanente frustration que l’acteur ne peut pas faire ce que moi-même je ne pas faire non plus.

Ce qui me rend encore heureux c’est d’avoir trouvé, désolé que j’étais devant l’indiscipline de mes acteurs, une modèle qui finalement est absolument cohérent avec ma démarche dans ce quartier ici, c’est-à-dire je ne peux pas le faire tout seul, j’ai besoin d’aide, ce qui veut dire que des fois le Spinoza Théatre a du se jouer avec 3, 2 ou même 1 acteur, mais jamais je n’ai été tout seul sans aide.

Et ce qui me rend heureux aussi c’est d’avoir tenu l’égalité directionnelle et totalitaire que j’ai imposée à mes acteurs.

Et finalement ce qui me rend heureux c’est que sans contrôle et dans l’urgence et la précipitation, chaque fois nous arrivons à trouver des moments court, très rares et très furtifs que je veux appeler de beauté que je veux appeler beauté précaire.

Ce qui me rend heureux aussi de trouver une sorte de cessez-le-feu entre mes espérances, mes exigences avec mon incapacité et mes limites, pour pouvoir assumer cet distance énorme, et pour en l’assumant, se projeter dans l’avenir et les projets futurs. C’est grâce à ce cessez-le-feu j’essaye de définir ce que pourrait être pour moi le Théâtre Précaire.

J’ai très vite compris que le Spinoza Théatre je ne pourrais pas le faire comme je l’avais prévu. J’avais prévu par exemple que les actrices et acteurs connaissent le texte par cœur, ça n’a pas été le cas, et pour certains ce ne sera jamais le cas. J’ai donc du accepter la présence tout le temps de papiers avec le texte, et donc une certaine immobilité due à l’obligation de la lecture du texte. Et c’est là où l’utilisation du microphone qui était pour moi nécessaire à cause du fait que ce spectacle était joué en plein air avec les bruits environnants, les enfants qui jouent, les voitures, le métro, les gens discutant au food-bar, s’est imposé qui permet la lecture et qui en même temps est un point fixe dans l’espace.

T.H 2009