Lettre à Fanny (2013)

Chère Fanny,

Je t’écris pour répondre à ta question concernant l’utilisation de “Slogan” dans mon travail. Je veux le faire en plusieurs points et avec plaisir parce qu’il s’agit pour moi de la question de donner Forme, que je considère comme l’essentiel dans mon travail. Il y a donc plusieurs ‘raisons’ qui font que cet élément de Forme “Slogan”, s’impose dans mon travail.

Tout d’abord il y a le “Slogan” en soi, son Sens. Ce qui opère comme “Slogan” doit faire Sens et évidemment j’utilise des “Slogan” qui font sens – pour moi, et qui me semblent faire sens – aujourd’hui – pour d’autres. Un “Slogan” est un engagement et un “Slogan” marque une position, ma position. Je n’utilise pas de “Slogan” qui ne fait pas de sens, qui ne fait pas sens à moi. Mais un “Slogan” avec du non-sens – qui est différent du ‘pas de sens’ – m’intéresse et m’importe également – car je conçois le Sens comme le non-sens en tant que Résistance.

Si le “Slogan” est une Résistance en soi, il est aussi une Résistance au ‘temps factuel’ dans lequel nous vivons, car le “Slogan” interrompt le flux et reflux continu des faits, des ‘informations’ et des commentaires. Le “Slogan” peut percer un trou dans l’univers des faits dans lequel nous vivons, aujourd’hui. Ce trou permet d’apercevoir une lumière au delà de ce qu’on attend, de ce qu’on sait déjà et de ce qui ne nous surprends plus – l’actualité. Ce trou peut-être une fenêtre ou une porte vers le réel, ce réel qui se loge derrière l’argument de ‘la réalité’. Pour pouvoir toucher ‘derrière la réalité’ ce réel précieux et précaire, il faut la dynamique, il faut la force, il faut le mouvement, il faut la Résistance. Cette Résistance prend la Forme d’un “Slogan”.

Il y a le “Slogan” comme Simplification, comme ‘condensé’, comme quelque chose d’extrait et coupé de son contexte et ceci m’intéresse – comme par exemple les slogans publicitaires. Le “Slogan” m’intéresse parce que je suis censé le retenir et parce qu’il doit être facile à retenir. Le “Slogan” est une affirmation, un manifeste, quelque chose de définitif. Le “Slogan” veut exprimer l’essentiel, veut faire ‘unanimité’, veut dire ‘vérité’, veut dicter ‘loi’. Le “Slogan” se risque à n’être pas compris, mal compris, ‘trop court’ ou ‘limité’. Décider pour un “Slogan” requiert d’agir ‘sans tête’, et cet ‘agir sans tête’ – comme action ‘pro-flexive’ – est pour moi essentiel et nécessaire dans mon travail.

L’utilisation du “Slogan” a une raison Esthétique, l’esthétique de la typographie et de l’écriture, l’esthétique des lettres, des mots et des phrases. Je veux rester fidèle à mon premier amour – faire un Collage en assemblant des imprimés découpés, des éléments existants, textes ou images. Et j’écris ‘Esthétique’ car je veux insister sur l’importance pour moi de la notion ‘Esthétique’, ensemble et à même hauteur que ‘Politique’, ‘Amour’ et que ‘Philosophie’. Ces quatre notions constituent mon Champ de Force et de Forme. Ainsi, mon ‘Esthétique’ – que je pourrais aussi nommer mon ‘vocabulaire’ – est l’esthétique du précaire et néanmoins du précieux, l’esthétique de l’universel et aussi de l’éternel.

Il y a aussi le “Slogan” sur son Support qui m’intéresse. Le “Slogan” peint (ou ‘bombé’ à l’aérosol) sur un mur, qui est une signature de son auteur et qui marque et signe le lieu. Le “Slogan” écrit sur un tissus, une nappe de table ou un drap de lit qui devient un ‘Banner’ (une bannière) déplaçable et mobile pour servir d’outil de protestation, de revendication et de communication. Le “Slogan” sur son Support est un ‘Banner’ qui marque le ‘Nous’, ‘Nous’ parce qu’il dessine un collectif, une protestation commune ou une revendication commune. Simple, direct et facilement transportable, pour protester contre une injustice ou pour encourager une équipe sportive – un ‘Banner’ est un outil efficace et inclusif. Un ‘Banner’ est un étendard d’aujourd’hui, un signal de la rue, un drapeau non-neutralisé, un fanion non- officiel et non autorisé, qui véhicule les données (précaires, mobiles, dynamiques, affirmatives) qui correspondent à mon vocabulaire artistique. Un ‘Banner’ porté avec soi, suspendu dans le vide ou accroché sur un mur est avant tout un geste an-architectural. Parce que précairement déployée sur une structure architecturale, le ‘Banner’ avec son “Slogan” est une manifestation visuelle dont la puissance réside dans sa temporalité.

Finalement et pour toutes ces raisons d’utilisation de “Slogan” que j’ai évoquées, je veux te rappeler un exemple – récent – de quatre “Slogan” (sur des ‘Banner’) intégrés dans mon travail. Il s’agit des quatre “Slogan” – en fait des extraits et citations issus de textes d’Edouard Glissant, cet auteur que j’aime, et que j’avais intégrés dans mon travail “Crystal of Resistance” à la Biennale de Venise en 2011. Ces quatre “Slogan” – peints en noir sur des ‘Banners’ blancs – sont: “WE MUST FIGHT AGAINST TRANSPARENCY EVERYWHERE”, “WE DEMAND FOR ALL THE RIGHT TO OPACITY”, “THE OTHER IS ME – BECAUSE I AM ME. EQUALLY THE I FROM WHOM THE OTHER IS ABSENT PERISHES”, “YOU HAVE THE RIGHT NOT TO BE UNDERSTOOD”.

J’espère que ces quelques phrases on pu apporter des éléments de réponse à ta question ou au moins ont pu t’éclaircir sur ma logique d’artiste et sur ma volonté – à moi – de donner Forme.

Take care – take care,

Thomas

(Aubervilliers, Février 2013)